Dans le Parisien du 29 septembre, Jean-Michel Blanquer justifiait la non-recommandation du port du masque en école primaire ainsi : “l’école n’est pas le nid du virus (…) je suis toujours attentif à ce que disent les médecins du Haut Conseil de la santé publique ou de la société française de pédiatrie” [1].
Nous sommes surpris.
Nous sommes surpris de cette attention portée au Haut conseil de la santé publique. Tout le monde se souvient que le port du masque en lieu clos a été annoncé par le Président de la République le 14 juillet, et a été effectif en entreprise le 1er septembre. Or, le Haut conseil de la santé publique écrivait le 24 avril que “le port de ces masques grand public trouve une justification en population générale pour des espaces clos, notamment mal aérés ou insuffisamment ventilés ou en milieu extérieur si la distance physique d’au moins 1 mètre ne peut être respectée ou garantie” [2].
Nous sommes surpris car l’attention prêtée à une seule société savante est inhabituelle. Nous avons déjà signalé que notre gouvernement a pris du retard quant à la décision de confiner nos bouches et nos nez derrière des masques [3]. En période de pénurie, l’usage de masques faits maison aurait dû être recommandé : c’est ce que nous avons fait sur Stop-Postillons à partir du 22 mars [4]. Nous avons été rejoints dès le 29 mars par la société française de santé publique [5] et dès le 9 avril par le Collège National des Généralistes Enseignants et le Collège de la Médecine Générale [6]. Parallèlement, l’Académie Nationale de Médecine a rendu quatre avis en faveur du port généralisé du masque les 2 avril, 22 avril (“Aux masques, citoyens !”), 7 mai (“Recommander le port du masque sans masquer la vérité”) et 28 juillet (“Masquez vous, masquez vous, masquez vous !”) [7–10]. Les centres de contrôle et prévention des maladies américains puis européen se sont prononcés en faveur du port généralisé du masque les 3 et 8 avril respectivement [11,12]. Après bien d’autres sociétés savantes qu’il serait fastidieux d’énumérer, l’Organisation Mondiale de la Santé a recommandé le port généralisé du masque dès le 5 juin [13]. La science a longtemps éclairé le chemin que la démagogie ignorait.
Nous sommes surpris car le gouvernement ne s’appuie plus sur l’OMS. Pourtant, en avril et mai, le gouvernement justifiait sa décision de ne pas recommander le port du masque par les textes de l’OMS, ignorant que cette organisation s’adresse à tous, y compris aux 30 % de personnes n’ayant pas d’accès à l’eau potable dans le monde [14,15]. Cette faible attention récemment portée par Jean-Michel Blanquer aux textes de l’OMS est d’autant plus regrettable que cette dernière recommande le port du masque dès 6 ans lorsqu’une transmission généralisée existe, et que les enfants sont susceptibles d’interagir avec des personnes à haut risque… [16]
Nous sommes surpris par cette idée que l’école ne serait pas le nid du virus. Les écoles sont des lieux clos, où le virus peut donc se transmettre par aérosolisation (“micro-postillons”) : cette voie de transmission est suspectée de longue date, prise en considération par l’OMS dès le 9 juillet , affirmée par les CDC le 5 octobre [17,18].
L’école primaire est un lieu clos sans port de masque, c’est donc un nid du virus… Ce n’est vraisemblablement pas le nid principal aujourd’hui – parce que de nombreuses lacunes dans les barrières existent ailleurs (faible incitation au télétravail ou au télé-enseignement, partage de repas en cantines scolaires ou d’entreprises, aération insuffisante, etc.) –, mais ça n’est pas une raison pour ne pas s’en occuper !
Nous savons que lorsqu’ils présentent des symptômes, les enfants répandent le virus en quantités similaires à celles des adultes et peuvent infecter les autres de la même manière que les adultes [19]. La question reste débattue chez les enfants asymptomatiques ; néanmoins, des études récentes montrent que les enfants asymptomatiques ont des charges virales similaires et peuvent transmettre le virus [20–24]. Dans la plus vaste étude épidémiologique de “tracing” à ce jour, les enfants infectaient autant que les adultes [25]. Dans une colonie de vacances en Géorgie, les enfants de toute catégorie d’âge ont été touchés, en particulier les 6-10 ans (51 enfants positifs sur 100, soit 51 %), plus encore que les 11-17 ans (44 %), 18-21 ans (33 %) et les 22-59 ans (29 %) [26]. Enfin, une récente étude américaine a confirmé que des enfants contaminés à l’école pouvaient transmettre à leurs familles : 12 enfants sur 110 se sont contaminés à l’école et ont transmis à 26 % de leurs proches [27].
Nous sommes surpris car tandis que le ministère de l’Education Nationale allège chaque mois un peu plus son protocole sanitaire en France, l’American Academy of Pediatrics et les CDC américains recommandent le port du masque dès 2 ans [28,29] ; à l’autre bout du globe, de nombreux pays asiatiques exigent que les écoliers portent le masque dès la maternelle. Il s’agit d’une intervention simple, sans effet indésirable, avec un effet démontré. En France, nous “cassons le thermomètre pour traiter la fièvre” en déclarant que les enfants d’une classe ne seront plus considérés comme des “cas contacts” avant au moins 3 cas ; à défaut d’un traitement contre la maladie, nous en avons au moins trouvé un contre les statistiques alarmantes, et la courbe des enfants testés positivement a effectivement décru largement grâce à ce “traitement”…
Cet allègement du protocole sanitaire est justifié par le Ministre de l’Education Nationale par ces 2 avis, du Haut Conseil de Santé Publique et de la Société Française de Pédiatrie, auxquels il se dit “toujours attentif”, tout en ignorant l’AAP, les CDC ou l’OMS. Certes, réclamer le masque pour les enfants n’est pas une décision qui sera facilement acceptée, mais c’est néanmoins la décision qu’il faudra prendre, tôt ou tard, comme elle l’a été en Espagne, en Italie et dans certains Länder allemands. Nous aimerions que cette décision n’ait pas à être prise ; nous aimerions ne pas être ceux qui réclament le masque “pour les pitchounes”, vraiment. Nous n’avons aucun conflit d’intérêt avec les vendeurs de textiles, et nous n’avons pas pour projet de vie d’être détesté par des parents… Hélas, les faits sont têtus. Vous pourrez fermer tous les restaurants de France, fermer tous les bars, les discothèques : sans masque à l’école, des enfants ramèneront le virus à la maison chaque soir, et participeront à la dissémination entre les familles…
Nous sommes enfin surpris que la balance bénéfices-risques ne soit pas mieux prise en considération. Nous savons que les enfants symptomatiques propagent le virus ; nous suspectons fortement que les enfants asymptomatiques en fassent de même… Nous savons que les masques ne représentent aucun risque pour les enfants. Faire porter un masque aux enfants ne va pas “engourdir la société” comme le laisse croire le ministre de l’Education Nationale.
La balance bénéfices-risques est donc largement en faveur du port généralisé du masque, dès que possible (3 ans idéalement, 6 ans à défaut).
Oui, les enfants porteront imparfaitement le masque, mais ça sera bien mieux que rien !
Bien sûr, cette mesure sera insuffisante, et devra être complétée par d’autres : télétravail dès que possible et accepté par l’employé (pour réduire la densité de population qui se croise dans les transports en commun, dans les entreprises, dans les cantines), aération régulière de tous les lieux clos (écoles, entreprises, lieux de restauration), protection des lieux de partage de repas (aération, plexiglas, etc.) ou encore retour à la liste des personnes vulnérables avant son allègement au 29 août par exemple. Nous n’avons pas la prétention de proposer toutes les solutions médicales, sans les connaissances nécessaires quant aux impacts sociaux et économiques.
Mais cette mesure de masque pour les enfants sera mieux que l’absence de mesure actuelle respiratoire en milieu scolaire.
Nous ne luttons pas contre un virus à transmission respiratoire avec du gel hydroalcoolique seulement !
Voici donc notre dernière argumentation en faveur du port du masque pour tous les écoliers, dès que possible. Nous l’avons déjà dit en mai, en août, en septembre. Nous le répéterons autant que nécessaire.
Ce n’est pas une mesure que nous aimons recommander, mais c’est une mesure qu’il semble aujourd’hui nécessaire de prendre, pour protéger les personnes les plus vulnérables.
Nous sommes sûrs que vous qui nous avez lus, vous en comprendrez les intérêts et que vous saurez les transmettre à vos enfants.
Références
[1] Beyer C. Jean-Michel Blanquer: «L’école n’est pas le nid du virus. On ne doit pas engourdir la société». Le Figaro.fr 2020. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/jean-michel-blanquer-l-ecole-n-est-pas-le-nid-du-virus-on-ne-doit-pas-engourdir-la-societe-20200929 (accessed October 7, 2020).
[2] HCSP. Coronavirus SARS-CoV-2 : Mesures barrières et de distanciation physique en population générale. Paris: Haut Conseil de la Santé Publique; 2020.
[3] Rochoy M, Favre J, Puszkarek T, Hutt A. Wearing masks in France and elsewhere: why the delay? Br J Gen Pract Life 2020.
[4] Rochoy M, Puszkarek T, Hutt A, Favre J. Widespread use of anti-spittoons screens (homemade masks): a means to fight the Covid-19 epidemic. Exercer 2020;163:212–4.
[5] Société française de santé publique. Note à la presse – Masques et produits d’hygiène essentiels : des outils simples de lutte contre la pandémie qui doivent être largement accessibles 2020. https://www.sfsp.fr/suivre-l-actualite/les-actualites-generales-de-la-sante-publique/les-dernieres-actualites/20-espace-presse/16683-masques-et-produits-d-hygiene-essentiels-des-outils-simples-de-lutte-contre-la-pandemie-qui-doivent-etre-largement-accessibles (accessed October 7, 2020).
[6] Collège de Médecine Générale. Mesures de prévention primaire. Coronaclic 2020. https://lecmg.fr/coronaclic-3-mesures-de-prevention-primaire/ (accessed October 7, 2020).
[7] Académie Nationale de Médecine. Pandémie de Covid-19 : mesures barrières renforcées pendant le confinement et en phase de sortie de confinement 2020. http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-pandemie-de-covid-19-mesures-barrieres-renforcees-pendant-le-confinement-et-en-phase-de-sortie-de-confinement/ (accessed October 7, 2020).
[8] Académie Nationale de Médecine. Aux masques citoyens ! 2020. http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-nationale-de-medecine-aux-masques-citoyens/ (accessed October 7, 2020).
[9] Académie Nationale de Médecine. Recommander le port du masque sans masquer la vérité 2020. http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-nationale-de-medecine-recommander-le-port-du-masque-sans-masquer-la-verite/ (accessed October 7, 2020).
[10] Académie Nationale de Médecine. Masquez-vous, masquez-vous, masquez-vous ! 2020. http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-masquez-vous-masquez-vous-masquez-vous/ (accessed October 7, 2020).
[11] CDC. Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). Cent Dis Control Prev 2020. https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/prevent-getting-sick/cloth-face-cover-guidance.html (accessed September 27, 2020).
[12] European Centre for Disease Prevention and Control. Using face masks in the community – Reducing COVID-19 transmission from potentially asymptomatic or pre-symptomatic people through the use of face masks. 2020.
[13] WHO. Advice on the use of masks in the community, during home care and in healthcare settings in the context of the novel coronavirus (COVID-19) outbreak 2020. https://www.who.int/publications-detail/advice-on-the-use-of-masks-in-the-community-during-home-care-and-in-healthcare-settings-in-the-context-of-the-novel-coronavirus-(2019-ncov)-outbreak (accessed April 17, 2020).
[14] Gouthière F. Pourquoi l’OMS ne recommande-t-elle pas le port du masque à toute la population ? Lib CheckNews 2020. https://www.liberation.fr/checknews/2020/04/15/pourquoi-l-oms-ne-recommande-t-elle-pas-le-port-du-masque-a-toute-la-population_1785308 (accessed October 7, 2020).
[15] OMS, UNICEF. 1 personne sur 3 dans le monde n’a pas accès à de l’eau salubre 2019. https://www.who.int/fr/news-room/detail/18-06-2019-1-in-3-people-globally-do-not-have-access-to-safe-drinking-water-–-unicef-who (accessed October 7, 2020).
[16] World Health Organization. Q&A: Children and masks related to COVID-19 2020. https://www.who.int/news-room/q-a-detail/q-a-children-and-masks-related-to-covid-19 (accessed October 7, 2020).
[17] World Health Organization. Questions-réponses : Comment se transmet la COVID-19 ? 2020. https://www.who.int/fr/news-room/q-a-detail/q-a-how-is-covid-19-transmitted (accessed October 7, 2020).
[18] CDC. Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) – Transmission. Cent Dis Control Prev 2020. https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/prevent-getting-sick/how-covid-spreads.html (accessed October 7, 2020).
[19] COVID-19 in children and the role of school settings in COVID-19 transmission. Eur Cent Dis Prev Control 2020. https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/children-and-school-settings-covid-19-transmission (accessed October 7, 2020).
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